LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 18 mai 2016 par le Conseil d'État (décision n° 397826 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Gilbert B., par la SCP Nataf et Planchat, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-554 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du second alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le requérant par la SCP Nataf et Planchat, enregistrées les 31 mai et 7 juin 2016 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 9 juin 2016 ;
- la lettre du 28 juin 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
- les observations en réponse présentées par le Premier ministre, enregistrées le 1er juillet 2016 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Mes Sorin Margulis et Éric Planchat, avocats au barreau de Paris, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 5 juillet 2016 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. Le deuxième alinéa de l'article 1649 A du code général des impôts impose aux personnes physiques, associations et sociétés n'ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, de déclarer, en même temps que leurs revenus ou leurs résultats, les références des comptes ouverts, utilisés ou clos à l'étranger.
2. Le premier alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 du même code prévoit que les infractions aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 1649 A sont passibles d'une amende de 1 500 euros par compte non déclaré, et que ce montant est porté à 10 000 euros lorsque l'obligation déclarative concerne un État ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative. Selon le second alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 mentionnée ci-dessus : « Si le total des soldes créditeurs du ou des comptes à l'étranger non déclarés est égal ou supérieur à 50 000 € au 31 décembre de l'année au titre de laquelle la déclaration devait être faite, l'amende par compte non déclaré est égale à 5 % du solde créditeur de ce même compte, sans pouvoir être inférieure aux montants prévus au premier alinéa du présent IV ».
3. Selon le requérant, le défaut de déclaration d'un compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger en méconnaissance de l'obligation imposée par le deuxième alinéa de l'article 1649 A du code général des impôts est punissable de plusieurs amendes concurrentes, notamment celle prévue par les dispositions du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts et celle instituée par l'article L. 152-5 du code monétaire et financier. Dans la mesure où la première de ces amendes peut s'élever à 5 % du solde créditeur du compte non déclaré tandis que la seconde est une amende fixée de manière forfaitaire à 750 euros par compte non déclaré, il en résulterait une différence dans la répression encourue qui méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi pénale.
4. Le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce qu'en fixant, pour le manquement à une obligation déclarative qu'elles répriment, une amende en pourcentage du solde du compte bancaire non déclaré, les dispositions contestées méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines.
5. Selon l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Si la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur, il incombe au Conseil constitutionnel de s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue.
6. En réprimant la méconnaissance de l'obligation déclarative annuelle relative aux comptes bancaires ouverts, utilisés ou clos à l'étranger, le législateur a, par la sanction ayant le caractère d'une punition instaurée au paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts, entendu faciliter l'accès de l'administration fiscale aux informations bancaires et prévenir la dissimulation de revenus ou de biens à l'étranger. Il a ainsi poursuivi l'objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
7. L'amende prévue par les dispositions contestées, qui réprime l'absence de déclaration annuelle des comptes bancaires ouverts, utilisés ou clos à l'étranger, est fixée en pourcentage du solde de ces comptes dès lors que le total de ces soldes excède 50 000 euros au 31 décembre de l'année. Cette amende est encourue même dans l'hypothèse où les sommes figurant sur ces comptes n'ont pas été soustraites frauduleusement à l'impôt. En prévoyant une amende proportionnelle pour un simple manquement à une obligation déclarative, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'il a entendu réprimer. Dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions contestées, qui méconnaissent le principe de proportionnalité des peines, doivent être déclarées contraires à la Constitution.
8. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.
9. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter la date de l'abrogation des dispositions contestées. Par conséquent, la déclaration d'inconstitutionnalité du deuxième alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2012 prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision. Elle est applicable aux amendes prononcées sur le fondement du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts avant la date de la décision du Conseil constitutionnel et qui n'ont pas donné lieu à un jugement devenu définitif ou pour lesquelles une réclamation peut encore être formée.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er.- Le deuxième alinéa du paragraphe IV de l'article 1736 du code général des impôts dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 est contraire à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son paragraphe 9.
Article 3.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 21 juillet 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 22 juillet 2016.